lundi 22 juin 2009

L'amour existe (1960)

Documentaire de Maurice Pialat sur la vie en banlieue et les profondes modifications qui bouleversent la France des années 1960, urbanisation galopante, émergence de la société de consommation, colonisation de l'imaginaire par la publicité, ségrégation sociale, accélération de l'idéologie du travail, etc.



Le texte écrit par Maurice Pialat qui accompagne les images:

Longtemps j’ai habité la banlieue. Mon premier souvenir est un souvenir de banlieue. Aux confins de ma mémoire, un train de banlieue passe, comme dans un film. La mémoire et les films se remplissent d’objets qu’on ne pourra plus jamais appréhender.

Longuement j’ai habité ce quartier de Courbevoie. Les bombes démolirent les vieilles maisons, mais l’église épargnée fut ainsi dégagée. Je troque une victime contre ces pierres consacrées ; c’était un camarade d’école ; nous chantions dans la classe proche : « Mourir pour la patrie », « Un jour de gloire vaut cent ans de vie ».

Les cartes de géographie Vidal de Lablache éveillaient le désir des voyages lointains, mais entretenaient surtout leur illusion au sein même de nos paysages pauvres.

Un regard encore pur peut lire sans amertume ici où le mâchefer la poussière et la rouille sont comme un affleurement des couches géologiques profondes.

Palais, Palace, Eden, Magic, Lux, Kursaal… La plus belle nuit de la semaine naissait le jeudi après-midi. Entassés au premier rang, les meilleures places, les garçons et les filles acquittent pour quelques sous un règne de deux heures.

Parce que les donjons des Grands Moulins de Pantin sont un « Burg » dessiné par Hugo, le verre commun entassé au bord du canal de l’Ourcq scintille mieux que les pierreries.

A quinze ans, ce n’est rien de dépasser à vélo un trotteur à l’entraînement. Le vent d’hiver coupait le polygone du Bois de Vincennes ; moins sévère que le vent de l’hiver à venir qui verrait les Panzers répéter sur le terrain.

Promenades, premiers flirts au bord de la Marne, ombres sombres et bals muets, pas de danse pour les filles, les guinguettes fermeraient leurs volets. Les baignades de la Marne, Eldorado d’hier, vieillies, muettes et rares dorment devant la boue.

Soudain les rues sont lentes et silencieuses. Où seront les guinguettes, les fritures de Suresnes ? Paris ne s’accordera plus aux airs d’accordéon.


La banlieue entière s’est figée dans le décor préféré du film français. A Montreuil, le studio de Méliès est démoli. Ainsi merveilles et plaisirs s’en vont, sans bruit

« La banlieue triste qui s’ennuie, défile grise sous la pluie » chantait Piaf. La banlieue triste qui s’ennuie, défile grise sous la pluie. L’ennui est le principal agent d’érosion des paysages pauvres.

Les châteaux de l’enfance s’éloignent, des adultes reviennent dans la cour de leur école, comme à la récréation, puis des trains les emportent.

La banlieue grandit pour se morceler en petits terrains. La grande banlieue est la terre élue du P’tit pavillon. C’est la folie des p’titesses. Ma p’tite maison, mon p’tit jardin, mon p’tit boulot, une bonne p’tite vie bien tranquille.

Vie passée à attendre la paye. Vie pesée en heures de travail. Vie riche en heures supplémentaires. Vie pensée en termes d’assistance, de sécurité, de retraite, d’assurance. Vivants qui achètent tout au prix de détail et qui se vendent, eux, au prix de gros.

On vit dans la cuisine, c’est la plus petite pièce. En dehors des festivités, la salle à manger n’ouvre ses portes qu’aux heures du ménage. C’est la plus grande pièce : on y garde précieusement les choses précieuses.

Vies dont le futur a déjà un passé et le présent un éternel goût d’attente.

Le pavillon de banlieue peut être une expression mineure du manque d’hospitalité et de générosité du Français. Menacé il disparaîtra.

Pour être sourde la lutte n’en est pas pour autant silencieuse. Les téméraires construisent jusqu’aux avants-postes.

L’agglomération parisienne est la plus pauvre du mon-de en espaces verts. Cependant la destruction systémati-que des parcs an-ciens n’est pas achevée. Massacre au gré des spéculations qui sert la mode de la ré-sidence de faux luxe, cautionnée par des arbres centenaires.

Voici venu le temps des casernes civiles. Univers concentrationnaire payable à tempérament. Urbanisme pensé en termes de voirie. Matériaux pauvres dégradés avant la fin des travaux.

Le paysage étant généralement ingrat. On va jusqu’à supprimer les fenêtres puisqu’il n’y a rien à voir.

Les entrepreneurs entretiennent la nostalgie des travaux effectués pour le compte de l’organisation Todt.

Parachèvement de la ségrégation des classes. Introduc-tion de la ségrégation des âges : parents de même âge ayant le même nombre d’enfants du même âge. On ne choisit pas, on est choisi.

Enfants sages comme des images que les éducateurs désirent. Jeux troubles dans les caves démesurées. Contraintes des jeux préfabriqués ou évasion ? Quels seront leurs souvenirs ?

Le bonheur sera décidé dans les bureaux d’études. La ceinture rouge sera peinte en rose. Qui répète aujourd’hui du peuple français qu’il est indiscipliné. Toute une classe conditionnée de copropriétaires est prête à la relève. Classe qui fait les bonnes élections. Culture en toc dans construction en toc. De plus en plus la publicité prévaut contre la réalité.

Ils existent à trois kilomètres des Champs-Élysées. Constructions légères de planches et de cartons goudronnés qui s’enflamment très facilement. Des ustensiles à pétrole servent à la cuisine et à l’éclairage.

Nombre de microbes respirés dans un mètre cube d’air par une vendeuse de grands magasins : 4 millions

Nombre de frappes tapées dans une année par une dactylo : 15 millions

Déficit en terrain de jeux, en terrain de sport :75%

Déficit en jardin d’enfant : 99%

Nombre de lycées dans les communes de la Seine : 9. Dans Paris : 29

Fils d’ouvriers à l’Université : 3%. A l’Université de Paris : 1,5%

Fils d’ouvriers à l’école de médecine : 0,9%.

A la Faculté de lettres : 0,2%

Théâtre en-dehors de Paris : 0. Salle de concert : 0


La moitié de l’année, les heures de liberté sont dans la nuit. Mais tous les matins, c’est la hantise du retard.

Départ à la nuit noire. Course jusqu’à la station. Trajet aveugle et chaotique au sein d’une foule serrée et moite. Plongée dans le métro tiède. Interminable couloir de correspondance. Portillon automatique. Entassement dans les wagons surchargés. Second trajet en autobus. Le travail est une délivrance. Le soir, on remet ça : deux heures, trois heures, quatre heures de trajet chaque jour.

Cette eau grise ne remue que les matins et les soirs. Le gros de la troupe au front du travail, l’arrière tient. Le pays à ses heures de marée basse.


L’autobus, millionnaire en kilomètres, et le travailleur, millionnaire en geste de travail, se sont séparés une dernière fois, un soir, si discrètement qu’ils n’y ont pas pris garde.

D’un côté les vieux autobus à plate-forme n’ont pas le droit à la retraite, l’administration les revend, ils doivent recommencer une carrière.

De l’autre, les vieux travailleurs. Vieillesse qui doit, dans l’esprit de chaque salarié, indubitablement survenir. Vieillesse comme récompense, comme marché que chacun considère avoir passé. Ils ont payé pour ça. Payé pour être vieux. Le seul âge où l’on vous fout la paix. Mais quelle paix ? Le repos à neuf mille francs par mois. L’isolement dans les vieux quartiers. L’asile. Ils attendent l’heure lointaine qui revient du pays de leur enfance, l’heure où les bêtes rentrent. Collines gagnées par l’ombre. Aboiement des chiens. Odeur du bétail. Une voix connue très lointaine… Non. Ils pourraient tendre la main et palper la page du livre, le livre de leur première lecture.


Les squares n’ont pas remplacé les paysages de L’Ile de France qui venaient, hier encore, jusqu’à Paris, à la rencontre des peintres.

Le voyageur pressé ignore les banlieues. Ces rues plus offertes aux barricades qu’aux défilés gardent au plus secret des beautés impénétrables. Seul celui qui eût pu les dire se tait. Personne ne lui a appris à les lire. Enfant doué que l’adolescence trouve cloué et morne, définitivement. Il n’a pas fait bon de rester là, emprisonné, après y être né. Quelques kilomètres de trop à l’écart.

Des années et des années d’hôtels, de « garnis ». Des entassements à dix dans la même chambre. Des coups donnés, des coups reçus. Des oreilles fermées aux cris. Et la fin du travail à l’heure où ferment les musées. Aucune promotion, aucun plan, aucune dépense ne permettra la cautérisation. Il ne doit rien rester pour perpétrer la misère. La leçon des ténèbres n’est jamais inscrite au flanc des monuments.

La main de la gloire qui ordonne et dirige, elle aussi peut implorer. Un simple changement d’angle y suffit.

jeudi 18 juin 2009

Lucifer rising

Kenneth Anger est considéré comme l'un des pionniers du cinema underground américain. Gay, adepte d'occultisme, admirateur d'Aleister Crowley et ami d'Anton Lavey, son travail est empreint d'une iconographie ésotérique et sataniste. Lucifer rising est l'un des courts films qu'il a réalisé. La musique est de Bobby Beausoleil, connu pour avoir appartenu à la Manson Family il a été arrêté à la fin des années 1960 pour meurtre.




Pour télécharger la B.O cliquez içi et içi

samedi 13 juin 2009

ich liebe dich mein Prinz. ich liebe dich mein Räuber

Ein schöner junger Prinz. verirrte sich im Wald. Plötzlich wurde es dunkel. Da packten ihn die räuber. Doch einer von den Räubern liebte diesenprinzen. Ich liebe dich mein Prinz. Ich liebe dich mein Räuber.
(A beautiful young prince. got lost in the wood.suddenly night fell. So the robbers caught him. But one of the robbers loved the prince. I love you my prince. i love you my robber.)


mardi 9 juin 2009

L'Europe face au défi industriel


Bernard Stiegler, philosophe et président de l'association Ars Industrialis, compte parmi les penseurs hexagonaux de premier plan. Suite à des études à L'EHESS sous la direction de Jacques Derrida, il devient successivement directeur de recherche au Collège international de philosophie, professeur et directeur de l'unité de recherche « Connaissances, organisations et systèmes techniques » à l'Université de technologie de Compiègne , directeur général adjoint de l'INA, puis directeur de l'IRCAM jusqu'en fin 2005. Il occupe actuellement le poste de directeur du développement du secteur culturel au centre Georges Pompidou et de professeur à l'Université de Technologie de Compiègne.
Après un passage au parti communiste et au sein de diverses mouvances de la gauche contestataire, son questionnement concernant une nouvelle approche de la question industrielle dans les sociétés modernes le pousse à envisager le problème du système capitaliste comme devant être résolu non pas par son abolition mais par un ressaisissement de celui-ci.
Il s'agit donc moins de venir à bout de l'économie de marché et de libre concurrence que de faire en sorte que celle-ci récupère son "esprit" au sein d'une appréhension rénovée des régimes industriels.
Parallèlement, il développe une critique frontale de la société de consommation, notamment au travers de la mise en accusation de son instrumentalisation de la libido, ainsi que de ce qu'il nomme la "télécratie"celle-ci favorisant, selon lui, le populisme politique en nivelant le débat public par le bas.
Observons que celui-ci a passé cinq années de sa vie en prison, entre 1978 et 1983, pour attaques à main armée. Il affirme d'ailleurs à ce propos que c'est derrière les barreaux qu'émergea son gout pour la philosophie.
Alors, si comme moi vous êtes sensible aux "philosophes voyoux" je pense que les deux vidéos suivantes devraient vous intéresser.
Au cours de cette interview Bernard Stiegler nous fait part de sa vision de l'Europe ainsi que de la manière dont celle-ci devrait être pensée dans un contexte de continentalisation et d'émergence de nouveaux paradigmes de volonté de puissance à l'échelle mondiale.


jeudi 4 juin 2009

Serre lui le cou comme si c'était un poulet





Fellini sur le tournage du Satyricon (1969)



La scène dans le film.



Un autre extrait du film particulièrement impressionnant, surtout la séquence durant laquelle un attroupement de romains transporte dans l'obscurité d'une ruelle une immense tête sculptée qui n'est pas sans rappeler l'atmosphère surréaliste et métaphysique des tableaux de De Chirico.