samedi 4 avril 2009

Irruption de la folie


Le premier long métrage du célèbre cinéaste Werner Herzog intitulé Lebenszeichen (signes de vie), réalisé en 1968, est intéressant à plus d’un titre. D’une part, on y retrouve nombre des thèmes chers au réalisateur allemand, à savoir l’enfermement, la solitude, l’introspection ainsi que l’émergence de la folie, et la mise en scène, qui prend pour décor les somptueuses côtes crétoises de la méditerranée, offre au regard du spectateur un grandiose panorama. Le film, qui se déroule à la fin de la seconde guerre mondiale, raconte l’histoire d’un jeune soldat allemand blessé, Stroszek, envoyé à l’arrière afin de surveiller un dépôt de munitions situé dans un antique château dominant une petite ville côtière. Accompagné par sa femme et deux soldats amis, il passe son temps muré dans ses réflexions, en observateur de la rude nature sauvage de la région. Peu à peu il sombre dans la folie jusqu'à représenter une véritable menace pour son entourage. Il finit par expulser violemment sa femme et ses compagnons du château afin de faire de celui-ci la base de son nouveau royaume, s’autoproclamant « commandant de la Méditerranée occidentale ». Il s’enfonce toujours plus dans la folie, menace ses supérieurs ainsi que la population entière de faire sauter le château à l’aide des munitions présentes dans le dépôt si jamais l’on s’avise de venir le déranger, se rendant ainsi maitre absolu des lieux. Il fait la démonstration de sa résolution et de son pouvoir à deux reprises en projetant des feux d’artifices depuis la cour du château. Ce qui est frappant dans ce film, c’est la manière dont le personnage principal utilise le feu d’artifice, indice de sa folie, comme instrument de pouvoir. La poudre lui sert à la fois d’instrument et de miroir lui renvoyant sa propre démesure.


Par ce procédé technique simple, il prétend rivaliser avec la lumière du soleil elle-même et se hisser à la hauteur des dieux tout puissants. Cependant les seuls « cataclysmes » qui naitront de ses foudres seront la mort d’un âne ainsi qu’une chaise calcinée. Il glisse alors piteusement du statut de terrible force de la nature à celui d’illuminé inoffensif, de fou du village ou de don quichotte pathétique. Le déluge de flamme qu’il promet se révèle être, en réalité, un pétard mouillé qui, faute de semer la terreur parmi la population, provoque plus certainement l’émerveillement et le plaisir du regardeur fasciné par les lumières du feu d’artifice dans le ciel. Cette posture de l’idiot manipulant la poudre et le feu, objet de tout les fantasmes, nous la retrouvons chez l’artiste suisse Roman Signer qui, en expérimentant feux d’artifices et explosifs en tout genres, étudie notre rapport à la technique et aux phénomènes naturels sur le mode d’un empirisme candide. Citons, par exemple, des œuvres telles que Vulkan (1989) dans laquelle il semble se réchauffer les mains au dessus des étincelles produites par un gros pétard en forme de cône protégé par un costume anti-chaleur, ou encore Versuch (2000) qui présente à peu près le même dispositif à ceci près que c’est cette fois se sont ses jambes qui se trouvent au dessus du feu. Signer incarne la figure du petit chimiste, du savant fou de l’art contemporain qui, au travers de ses micro-expériences amatrices, cherche à la fois à dévoiler les résultats produits par de simples dispositifs techniques, en supposant en tirer une information plus ou moins décisive, mais surtout à éprouver la jouissance de l’expérience elle-même comme appréhension et mode de participation au monde. Comme le dit Jean-Yves Jouannais dans son célèbre ouvrage intitulé L’idiotie:

Roman Signer suppose un scénario qui ne participe pas de la genèse mais dont l’écriture constitue au contraire un horizon. Processus qui soumet le cinéma au danger même de ce qui devrait être son sujet, à savoir la vie des êtres et le temps propre de leur existence. C’est un parti pris similaire qui offre au feu d’artifice rampant de Roman Signer une tonalité singulièrement grave. Ce sont les objets, les explosions, les paysages mêmes qui se déplacent, dessinent la cinétique des perspectives, laissant l’homme en plan, en rade, éternel rebut du réel. (p.228)


Soulignons au passage la correspondance, particulièrement intéressante pour nous, qui est tissée entre le travail de Roman Signer et le cinéma, celle-ci allant tout à fait dans le sens de notre propos. Au travers de ces vaines expériences scientifiques, c’est la vanité même de l’être humain que Signer semble pointer. Il révèle notre inaptitude à nous mesurer aux forces de la nature et la précarité des instruments qui sont les nôtres. Au sujet des feux d’artifices, Roman Signer déclare d’ailleurs, dans un entretien avec Eugen Blume dans le catalogue de l’exposition rétrospective de son travail au Hamburger Bahnhof de Berlin :

Also, das interesse am Feuer ist beim Menschen natürlich schon uralt, die Angst auch. Ich glaube, auch ohne direkte Vulkanberührungen sieht man in allen Kulturen diese Feuerbräuche. Auch die Frülingsfeuer, wie sie in der Schweiz üblich sind. Auch im Geirge bei uns, die wir keine Ahnung von Vulkanen haben, gibt es Feuerwerke. –Ich glaube, das hat mit dem generellen interesse am Feuer zu tun. Und ich glaube, dass die Menschen in Vulkangegenden eher zurückhaltend sind. (p.40)
(Et bien, l’intérêt de l’être humain pour le feu est primordial, bien sûr, tout comme la peur qu’il en a. Je pense que l’on peut trouver ce genre d’usage coutumier du feu dans toutes les cultures, même si les gens n’ont pas de contact direct avec les volcans. Voyez vous, au printemps les feus d’artifices sont très répandus en Suisses par exemple. Même dans les montagnes de notre pays, où nous n’avons vraiment aucune sorte de rapport avec les volcans, il y a des feux d’artifices. Je pense que ça a un rapport avec l’intérêt commun pour le feu. En revanche je pense que les gens qui viennent de régions plus volcaniques sont plus réservés à ce sujet.)

C’est donc dans les fondements même de notre mémoire, dans ce qu’il y a de plus enfoui dans notre inconscient, que l’artiste va puiser les matériaux nécessaires à ses expériences. Malheureusement tout ce qu’il ramène à la surface, depuis ces tréfonds, se résume à un être chétif et idiot dont la folie s’avère plus dangereuse pour ses semblables et lui-même qu’autre chose.


1 commentaire:

  1. "...les thèmes chers au réalisateur allemand: l’enfermement, la solitude, l’introspection":
    ;-)Sacré Werner.

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